Une lecture génétique du schéma
pulsionnel szondien basée sur la théorie de Jean Piaget
Jean Pierre VAN MEERBEEK
Jean PIAGET présente une
théorie du développement génétique - en fait essentiellement du développement
cognitif et logique -en quatre grandes périodes :
• Période
sensori-motrice : de 0 à 18 mois - 2 ans : l'enfant développe une
intelligence pratique, basée sur la coordination des actions, avant de
commencer à parler et à utiliser la représentation.
• Période préopératoire
ou symbolique : de 1 1/2 à 7-8 ans : l'enfant accède à différents aspects
de la représentation (langage, symboles, imitation ...) et apprend à les
utiliser, sans toutefois accéder à la logique.
• Période opératoire
concrète : de 7-8 à 11-12 ans : l'enfant accède à la réversibilité logique
dans des situations concrètes, mais n'est pas capable de raisonnement
hypothético-déductif.
• Période opératoire
formelle : de 11-12 à 14-15 ans : accès à la logique hypothético-déductive.
Dans le cadre de la
théorie des circuits de Jacques SCHOTTE, nous avons émis l'hypothèse que
chacune de ces périodes génétiques pouvait correspondre à un vecteur du Schéma
pulsionnel, soit :
- Vecteur Contact : période sensori-motrice
- Vecteur Sexuel : période préopératoire-symbolique
- Vecteur Paroxysmal : période opératoire concrète
- Vecteur Sch : période opératoire formelle
Cette hypothèse est donc
double, puisqu'elle porte à la fois sur le développement génétique dans sa
structure d'ensemble, et sur le problème de l'apparition de la logique dans le
développement.
PIAGET fait dériver
l'intelligence de l'organisation biologique et de ses propriétés fonctionnelles
; il la considère comme une adaptation, résultante de deux fonctions
complémentaires : l'assimilation et l'accommodation. L'assimilation est
l'incorporation de la réalité extérieure aux schèmes d'activité du sujet,
tandis que l'accommodation est une fonction de modification des schèmes
assimilateurs sous l'influence de la réalité extérieure. L'adaptation
intellectuelle n'est autre que la mise en équilibre progressive entre le
mécanisme assimilateur et une accommodation complémentaire.
Ce modèle fonctionnel
nous a suggéré l'hypothèse d'une association de l'assimilation avec la première
diagonale des circuits, et de l'accommodation avec la seconde diagonale de ces
mêmes circuits. Cette hypothèse s'est révélée constituer un guide fort précieux
pour l'élaboration de ce travail. Toutefois, comme le lecteur pourra le
constater, si des traces de cette hypothèse sont perceptibles dans nos développements
sur les Vecteurs C et S, avec les périodes génétiques qui y correspondent, la
référence au modèle fonctionnel disparaît lorsque nous abordons les vecteurs
centraux, associés à l'apparition de la logique proprement dite (concrète, puis
formelle). Ceci n'est pas l'indice d'une carence quant à la validité de nos
hypothèses mais bien l'indice de l'insuffisance du modèle fonctionnel
d'inspiration biologique pour rendre compte de l'ensemble du développement, y
compris en ce qui concerne l'émergence à la logique.
Le Vecteur du Contact et la période sensori-motrice
La position " m+
" et le premier stade sensori-moteur :
Le premier stade
sensori-moteur, dit "exercice des réflexes", couvre les quatre à six
premières semaines de la vie. L'équipement réflexe du nouveau-né constitue un
éventail diversifié : succion, préhension, cris et phonations, gestes des bras
et de la tête. C'est un équipement inné, et si l'intervention du milieu
extérieur est indispensable à la mise en train des schèmes, ce milieu ne peut les
remanier.
Dans l'article intitulé
"Sich anklammern - Auf Suche gehen", auquel SZONDI a emprunté pour
construire le Vecteur du Contact, HERMANN explore un aspect particulier de cet
équipement réflexe : celui qui a trait aux conduites d'agrippement : crispation
des doigts pendant la tétée, "grasping reflex", réflexe de Moro ,
poings fermés à la hauteur des épaules pendant le sommeil. HERMANN établit un
rapprochement entre ces réflexes du nouveau-né et le réflexe d'agrippement chez
le singe. Cependant, il n'exprime pas clairement l'idée que ce réflexe a pour
fonction biologique de permettre au jeune de l'accrocher au ventre maternel
lorsqu'elle prend la fuite devant un prédateur. Cet aspect est par contre mis
en évidence par Albert DEMARET, dans son ouvrage "Ethologie et
psychiatrie" [1]. Ces conduites réflexes
concernant le stade initial de la vie extra-utérine chez l'homme comme chez le
singe n'auraient donc pas un rapport exclusif avec le nourrissage, et ne
seraient donc pas à interpréter exclusivement en termes d'oralité.
D'autre part, il n'est ni
utile ni adéquat d'introduire une quelconque notion "d'objet" dans la
perspective fonctionnelle qui est celle de PIAGET, où les besoins n'existent
pas indépendamment du fonctionnement qui permet de les assouvir. Il y a,
pourrait-on dire un "répondant" qui encourage le fonctionnement des
schèmes, et qui rend possible une première "prise" sur le monde,
certainement pas un "objet".
En somme, au travers de
l'emprunt de SZONDI à HERMANN, le rapprochement entre certains réflexes
archaïques du nouveau né et la position " m + " était déjà fait ! Il
ne restait qu'à situer ce premier comportement du nourrisson dans l'ensemble de
la conceptualisation piagétienne, et à élargir le rapprochement à l'ensemble
des réflexes innés, même si la succion-préhension conserve en fait une place
privilégiée.
La position " d-
" et les 2ème et 3ème stades.
Le deuxième
stade,"premières habitudes acquises", se caractérise par la
conservation répétitive de résultats obtenus sur le corps propre, le troisième
stade par la conservation également répétitive des résultats obtenus sur des
objets du monde extérieur. La différence essentielle entre le premier stade et
les deux suivants n'est donc pas fondée sur l'opposition "corps propre -
objets extérieurs", mais bien sur l'opposition entre des comportements à
structure innée et d'autres qui trouvent leur forme d'équilibre dans une
interaction avec le milieu. Les résultats nouveaux sont découverts par hasard
au cours de l'activité spontanée, sans intentionnalité préalable, et conservés
par le jeu de la réaction circulaire, "exercice fonctionnel aboutissant au
maintien ou à la redécouverte d'un résultat nouveau intéressant".
L'installation de la succion systématique du pouce est un exemple illustrant le
deuxième stade ; frapper à nouveau sur un hochet d'abord heurté par hasard est
un exemple du troisième stade.
La signification de
" d- " : conservatisme, persévération, rejoint le mode de
fonctionnement des 2ème et 3ème stades. Classiquement, " d- " est considéré
comme typique de l'analité. En fait, la relation orale que le nourisson établit
avec sa mère concerne aussi ce niveau, dans la mesure où on la considère comme
une "habitude acquise", tendant d'elle même à sa propre conservation.
A propos de " d- ", SZONDI parle du besoin (Drang) de rester
"collé" au sein maternel en suçotant, et de s'opposer à toute remise
en cause de cette position acquise avantageuse.
La position " d +
" et les 4ème et 5ème stades (8-9 à 18 mois)
Notons pour commencer que
la période chronologique couverte par ces stades est celle de l'apparition de
la marche : l'enfant de cet âge commence à être en condition pour "partir
à la recherche" !
L'acquis essentiel du
4ème stade est la coordination de deux schèmes entre eux, dans des situations
où,pour atteindre un but,il faut utiliser un intermédiaire ou écarter un
obstacle. PIAGET y voit l'apparition de l'intentionnalité ou de la conscience
du désir : le schème se manifeste sous forme d'une tendance et non pas sous
forme de réalisation immédiate. WOLFF voit dans ces situations l'ébauche du
principe de réalité. Nous pourrions aussi exprimer ces acquis en terme de
"triangulation", laquelle a pour effet de briser le fonctionnement
autostimulateur - pour ne pas dire autoérotique - des stades précédents, en ce
sens que "tout ce qui existe dans la réalité n'est pas directement
"assimilable" par les schèmes antérieurement acquis, et ne conduit
pas directement à la satisfaction.
Au cours du 5ème stade,
l'enfant devient capable de développer des conduites de recherche et
d'expérimentation active : des "expériences pour voir". Voici un
exemple : l'enfant, cognant d'abord un plateau par hasard, le frappe ensuite à
plusieurs reprises pour en étudier le son, puis compare ce son à celui produit
par d'autres objets soumis à des chocs comparables. L'événement surgi par
hasard donne lieu ici non pas à une répétition simple, mais sert de point de
départ à une véritable exploration, qui devient une fin en soi. Ceci rejoint
évidemment la signification de " d + ".
Il semblerait que
l'apparition de ces conduites axées sur la recherche de nouveauté ait pour
condition que le bébé se libère d'abord du fonctionnement
"assimilateur" au profit d'un premier accès au "principe de
réalité". L'exploration et la découverte qui s'avèrent alors possibles
constituent une ouverture sur le monde qui n'a rien d'une "recherche pour
remplacer l'objet perdu".
La position " m-
" et le sixième stade (18 mois - 2 ans)
PIAGET nomme le sixième
stade "Invention des moyens nouveaux par combinaison mentale".
L'enfant de ce niveau devient capable d'invention, en combinant mentalement des
schèmes déjà élaborés antérieurement. Cependant, en début de stade, les schèmes
peuvent être évoqués par imitation, plutôt que par image mentale, ce qui permet
l'observation directe du mécanisme. Voici un exemple : cherchant à prendre une chaîne de montre dans une boîte d'allumettes
entrouverte, l'enfant mime d'abord l'ouverture de la boîte avec sa bouche,
avant de l'ouvrir pour de bon, et sans autre tâtonnement. Cet acte
d'invention est une réorganisation brusque de schèmes construits antérieurement
et simplement évoqués au lieu d'être exécutés réellement.
Le dernier stade
sensori-moteur apparaît comme un moment de libération de la pensée, et comme un
moment "créatif" : le sujet se détache des choses en cessant de les
manipuler, ce qui le rendait étroitement tributaire de leur présence immédiate
et de leurs mouvements physiques. Il "se retire", laisse
temporairement les choses, se ressaisit et ressaisit son expérience passée (ses
schèmes antérieurs), conçoit une "solution" et, "reprend
contact" ensuite, avec une liberté accrue.
Le sixième stade est la
"position de sortie" de la période sensori-motrice : il appartient
encore au sensori-moteur par le mode de combinaison des schèmes, tandis qu'il
ne l'est plus entièrement en ce sens que les manipulations directes sont
abandonnées. C'est en ce sens que nous considérons que ce stade "coupe le
contact" par rapport au fonctionnement sensori-moteur impliquant la
présence immédiate des choses.
Conclusion
La signification générale
des constructions sensori-motrices est l'établissement d'un réseau de liens
avec l'environnement proche, notamment l'environnement physique, et qui n'est
pas sans évoquer l'expression "venir au monde" ; prendre contact avec
le monde en s'y incluant en tant qu'objet physique lui aussi soumis aux lois de
ce monde physique.
Le terme d'inclusion
évoque d'ailleurs le fait que les schèmes sensori-moteurs requièrent la
présence effective des choses, c'est-à-dire un "contact direct" avec
les choses. Ils fonctionnement dans l'ici et maintenant, sans aucune distance,
ils sont toujours "en prise directe" sur le monde. C'est aussi par
ces caractéristiques que se révèle la justification d'un rapprochement avec le
Contact.
Il a été possible
d'aligner les six stades sur les positions du vecteur, c'est-à-dire de dégager
un "circuit" avec un matériau présenté sous forme d'une succession
relativement linéaire. Cette "mise en circuit" dégage entre les stades
un jeu d'oppositions, complémentaires aux rapports de succession présentés par
PIAGET :
• Sur la première diagonale du circuit : "m+ d-", les
stades 2 et 3 prolongent le stade 1 sous l'angle de la répétition prédominante
des schèmes.
• Le passage de "d-" à "d+" reflète le
renversement qui s'opère des stades 2-3 aux stades 4-5, où l'on passe de la
prédominance de la répétition à la prédominance du changement et de la
recherche.
• Sur la seconde diagonale du circuit, "d+ m-", le
6ème stade prolonge le 5ème dans le sens d'une accélération de la recherche
(combinaisons en pensée plus rapides que les manipulations), impliquant une
connotation de création.
• Enfin le 6ème stade, rapproché de "m-" s'oppose au
premier, associé à "m+",en tant qu'il implique un
"décrochage" par rapport au fonctionnement matériel et manipulatoire
des schèmes.
La possibilité
d'effectuer une telle lecture en circuit des stades sensori-moteurs est
l'indice que la période sensori-motrice est déjà en elle-même un parcours
complet, où l'on peut repérer l'esquisse d'une problématique anthropologique,
se laissant entrevoir par l'évocation du "principe de réalité" qui se
manifeste au stade 4, ainsi que par la dimension créatrice impliquée dans le
fonctionnement du 6ème stade.
La période
sensori-motrice raconte l'histoire d'une "mise au monde", d'une
"prise de contact avec le monde" dans le sens très physique de
passage du corps maternel à la terre, si l'on prend en compte la période qui va
de la naissance proprement dite au moment où la marche est complètement
acquise, avec les explorations et les découvertes qu'elle implique.
Le Vecteur Sexuel et la période préopératoire et
symbolique
Etant donné la complexité
toute particulière de cette période génétique, il est souhaitable de donner d'entrée
de jeu le principe global du rapprochement avec la problématique du Vecteur S,
avant même d'aborder le parcours du circuit. Il faudra de toute façon en rester
à une présentation simplifiée, et tenter de saisir l'essentiel.
Cette seconde période génétique
est corrélative de l'apparition de la représentation qui, dans sa définition
piagétienne,veut dire:"le signifiant se différencie du signifié". La
représentation ainsi définie concerne des modes d'expression divers :
l'imitation différée, l'image mentale, le dessin ou le jeu symbolique et pas
seulement le langage. PIAGET utilise la notion de "fonction
symbolique" pour rendre compte de l'ensemble des modalités de la
représentation.
En regard de cette
définition de la représentation, tentons de proposer une formule globale pour
saisir le Vecteur "S". MELON et LEKEUCHE suggèrent la formule
suivante : "Le fait capital en "S" est la concentration de la
libido sur le corps apparu et perçu dans le champ visuel en tant qu'objet "total"
et "perdu" correspondant à une "forme" (Gestalt)
différenciée"[2] . C'est donc de la problématique
du miroir qu'il est essentiellement question. Dès lors, la seule façon de
mettre clairement à jour l'affinité entre le Vecteur "S" et la pensée
symbolique préopératoire, c'est de considérer que l'enfant qui accède à la
"fonction symbolique" est cet enfant qui a eu accès à l'image du
miroir, et qui s'est donc constitué une représentation unifiée et totalisée de
son propre corps. Pour rester dans la terminologie piagétienne de la distinction
du signifiant et du signifié, on pourrait dire : une image qui a le statut de
signifiant de son "je".
Essayons de montrer que
cette "représentation de soi" est implicitement impliquée dans toute
l'évolution de la période génétique en cause ici. Nous prendrons appui sur la
subdivision de cette période génétique en deux stades, que nous associerons aux
deux axes diagonaux du circuit "S" :
• Du début de la représentation à 4 ans 1/2 environ, il y a,
dit PIAGET, prédominance absolue de l'assimilation, sous la forme particulière
du symbolisme individuel tel qu'il se manifeste dans l'usage du symbole
ludique.
• De 4 ans 1/2 à 7-8 ans : l'accommodation devient de plus en
plus prédominante, sous la forme d'une imitation socialisée de complexité
croissante (se prolongeant dans l'image mentale).
Le symbolisme ludique et
onirique "h + s-"
Le principe du jeu
symbolique, c'est que l'enfant utilise des objets nouveaux et fonctionnellement
inadéquats, qui sont les "signifiants" des objets servant à
l'exercice habituel des schèmes : prendre un linge frangé pour son oreiller et
faire semblant de dormir en suçant son pouce ; faire semblant de manger une
feuille de papier, ou de boire en se servant d'une boîte quelconque.
La fiction ou le jeu
symbolique se caractérise donc par la réunion de deux conditions : les schèmes
sont appliqués à des objets inadéquats du point de vue d'une adaptation
effective, et ces objets nouveaux ne donnent lieu à aucune accommodation
nouvelle, mais sont utilisés à seule fin de mimer ou d'évoquer les schèmes en
question. On peut ajouter que la recherche de plaisir en tant que telle est
manifeste, et qu'il y a une exigence de satisfaction qui pousse l'enfant à
prendre n'importe quoi comme support ou comme prétexte à cet exercice. L'enfant
attribue d'ailleurs une signification entièrement subjective ou égocentrique au
symbole ludique, qui est
"assimilation pure". Il ne serait dès lors pas excessif de considérer que le
symbole ludique fonctionne comme "objet de la pulsion", défini comme
" . . . ce en quoi ou par quoi la pulsion peut atteindre son but" [3].
L'enfant évoque des
schèmes antérieurs,hors de leur contexte,pour le plaisir, dit PIAGET,
soulignant ainsi la continuité avec la période sensori-motrice. Mais ne
pourrait-on pas dire aussi, en accentuant davantage la césure entre le
sensori-moteur et le symbolique, que le sujet lui-même se met en scène,
"se représente" en reproduisant des schèmes antérieurs? Ce serait
précisément tenir compte de la "totalisation" de l'image spéculaire,
présomptivement sous-jacente à ce qui se passe maintenant de nouveau par
rapport au sensori-moteur. Dans une telle optique, le "déplacement"
de l'objet (et de la situation) réels vers une situation fictive ayant un
symbole ludique comme support, n'est qu'un prétexte pour le sujet à jouer sa
propre représentation. Il y aurait donc non seulement le plaisir lié à
l'exécution d'un schème (reproduction du plaisir fonctionnel sensori-moteur),
mais aussi, et peut-être même surtout plaisir nouveau d'évoquer sa propre image,
de "se" représenter et de se mettre en scène au travers d'un
"faire ceci ou cela". A la limite, il s'agit de "se
séduire" en évoquant sa propre image en tant que totalité, source du
plaisir évoqué dans l'action ludique, ce qui justifie un rapprochement avec la
position "h+".
Qu'en est-il alors de la
seconde position : "s-" ? Pour PIAGET, le symbolisme du jeu se
prolonge dans le symbolisme onirique, qui est lui aussi, et a fortiori,
assimilation du réel au moi, sans compensation accommodatrice. Le dormeur
assimile le réel "en imagination", à la manière dont procède le jeu
symbolique : la pensée symbolique individuelle forme un seul tout.
Or, la position
"s-" a rapport avant tout avec l'objet produit dans la scène
fantasmatique, et avec une éventuelle fixation à celui-ci, plutôt qu'avec le
retour de l'agressivité contre soi-même. G. DELEUZE dit, dans une optique
similaire : "Le masochiste a besoin de croire qu'il rêve, même quand il ne
rêve pas"[4] . L'une des techniques utilisée
est justement la mise hors jeu de l'activité et du mouvement, dans des rites de
suspension physique, de ligotage etc . . . afin de susciter la régression
formelle et de faire prévaloir la scène fantasmatique.
Loin de nous l'idée de
prétendre que toute la problématique du rêve puisse tenir dans la seule
signification de la position "s-". Toutefois, dans les limites de
l'essai d'analyse structurale de la fonction symbolique que nous tentons ici,
et compte tenu de la présentation piagétienne du symbolisme onirique, il nous semble
justifié de l'associer à la seconde position de l'axe "h+ s-".
L'imitation ,l'image
mentale et l'axe "s+ h-".
L'imitation est de nature
essentiellement accommodatrice. C'est une technique de copie du réel à partir
de l'accommodation. D'autre part, à l'intérieur du champ de la "fonction
symbolique", l'imitation est le seul aspect qui s'appuie essentiellement
sur une activité motrice. Il s'agit d'une prise de connaissance par l'action,
ou d'une représentation agie. Mais ce mode de représentation agie n'est pas seulement
dirigée vers la connaissance des choses, elle comprend aussi un versant qui
concerne les personnes, y compris soi-même. Voici un exemple : "... J.
découvre son front : alors que je me touche le milieu du front, elle se frotte
d'abord l'oeil, puis cherche au-dessus et touche ses cheveux ; après quoi elle
descend un peu et finit par fixer son doigt sur son front. Les jours suivants,
elle parvient d'emblée à imiter ce geste . . ." [5]. Ce qui est en train de se construire, c'est une sorte de
"représentation en acte" du corps propre, assistée par l'imitation du
geste d'autrui. C'est l'image du corps, représentation du corps agi. Il nous
paraît que l'image du corps ainsi définie peut être considérée comme le
résultat d'une accommodation par rapport à la "Gestalt" du corps
perçu,ou une réappropriation de cette image, où le sujet passe de la position
passive à la position active. Il ne s'agit plus cette fois d'évoquer, pour
soi-même,sa propre image par la médiation du symbole ludique, il s'agit de se comporter
et d'agir "comme autrui" et au vu d'autrui.
On se trouve ici en
présence de la problématique de l'identification primaire, permettant à
l'enfant de se placer en position active, en position de séducteur par rapport
au parent oedipien, et à dépasser la position passive de l'enfant "objet
du désir maternel".
A la position
"s+", succède la position "h-", sur le circuit du Vecteur
sexuel. Nous associerons cette position à l'image mentale, toujours dans les
limites de notre analyse structurale de la fonction symbolique. Pour PIAGET,
l'image mentale est en elle-même un symbole imagé permettant d'évoquer par la
pensée ce qui a été perçu. Mais elle est surtout une intériorisation
(réextériorisable) de l'imitation. Elle "suit" donc l'imitation, si
l'on peut dire, et en est en quelque sorte la mémoire.
En deça de la
problématique de la sublimation mise en exergue par SZONDI à propos de
"h-", les sujets "h-" nieraient leur besoin d'être
"objets d'amour" et d'attention de la part d'autrui, pour se poser
davantage en "sujets de l'amour", et s'identifier à "celui qui
aime et veut aimer". On reste donc ici dans la dimension
"active" du "séducteur", ce qui pourrait être considéré
comme le prolongement de l'identification primaire : s'identifier à celui qui
aime.
Conclusion
La problématique du
Vecteur S est centrée sur la notion de "Gestalt" spéculaire, et met
en jeu la polarité actif-passif (séducteur-séduit). Si l'on pose l'hypothèse
que l'enfant qui accède à la "fonction symbolique" est l'enfant qui a
pu se constituer une image corporelle unifiée, la lecture de cette période
génétique devient plus claire, et le rapprochement avec le Vecteur sexuel
paraît significatif. Une analyse structurale des différents aspects de la
"fonction symbolique" semble possible sur l'espace du circuit S, là
où PIAGET avait proposé une énumération ouverte (à condition de considérer que
le langage double chacune de ses fonctions, et ne constitue pas lui-même un
pôle). En outre, on peut dégager un parcours génétique allant du plus passif au
plus actif, pour ce qui concerne l'usage des "matériaux" à caractère
représentatif ou symbolique, à commencer par l'image du corps elle-même.
Celle-ci, d'abord simplement évoquée par l'appui de symboles ludiques, fait
l'objet d'une appropriation de plus en plus active, dans laquelle l'imitation
joue un rôle central. Cette notion d'imitation, par certains aspects connexes
de l'identification primaire, est significative de cette période génétique, et
en dévoile d'ailleurs significativement les limites.
Le vecteur paroxysmal et la période opératoire concrète
Selon les observations de
PIAGET, à partir de 7 - 8 ans, l'enfant comprend qu'il peut annuler le résultat
d'une action en effectuant cette action en sens inverse. C'est l'accès à la
réversibilité opératoire, se définissant chez PIAGET par la combinaison d'une
action et de son inverse.
L'expérience la plus
connue dans ce domaine est celle de la déformation de la boulette d'argile : on
demande à l'enfant de réaliser deux boules identiques, puis on en déforme une
en boudin par exemple. Avant la réversibilité, l'enfant dira qu'il y a plus de
pâte parce que c'est plus long, ou au contraire moins de pâte parce que c'est
plus mince. Il réagit en fonction de sollicitations perceptives. Par contre,
une fois la réversibilité acquise, il dira qu'il y a la même quantité de pâte
parce qu'on a rien ajouté ni rien enlevé. Il peut "mentalement"
anticiper le résultat d'une action et de son inverse. La réversibilité joue le
rôle qu'assumait l'identité dans la logique classique.
La logique concrète
élabore domaine par domaine des structures opératoires, des
"invariants" autour de notions comme la longueur, le poids, le volume
... Nous n'analyserons pas en détail chacune de ces étapes, ni même l'ensemble
des propriétés logiques de ces structures. Il est plus important pour notre
propos de tenter de saisir les principes essentiels de cette logique opératoire
concrète.
A première vue, on peut
souligner que les opérations sont des actions intériorisées, et noter que
PIAGET a qualifié la logique de "morale de la pensée", ce qui est
déjà une introduction à la problématique de la loi . . .
Notes sur quelques résultats expérimentaux
Sur un ensemble de sept
études,conduites aux Universités de Liège et Louvain,concernant des tranches d'âge
entre 5-6 et 16 ans, on peut souligner les résultats suivants : en ce qui
concerne le facteur "hy", le pourcentage des "hy +" diminue
régulièrement au fur et à mesure du développement, et le "hy-"
augmente corrélativement. On peut proposer pour ces données l'interprétation
générale de Susan DERI, notant que la position "hy+" témoigne de
contrôles émotionnels peu importants, et de mouvements d'expression spontanés
et extérieurs, entre autres par la motricité. A l'inverse, la position "hy-"
représente des modalités plus "intériorisées" de la vie émotionnelle.
Il s'agit donc d'un commentaire tout à fait général, attribuable à l'ensemble
de l'évolution de l'enfant.
Quant aux résultats du
facteur "e", les chiffres les plus frappants concernent la diminution
du "e0" au profit du "e±", entre 5-6 et 9-10 ans [6]. A l'adolescence, le
"e±" diminuera, et le
"e0" augmentera à nouveau. La période de latence se
signalerait donc d'abord par l'occupation ou l'investissement du facteur
"e", plutôt que par une polarisation vers le " - " ou le
" + ". L'enfant en période de latence se sentirait concerné par la
problématique de la loi d'une façon nouvelle, peut-être pour la première
fois de façon vraiment significative.
En outre cette
"interpellation par la loi" évolue manifestement vers une position
"caïnesque" (e-) lorsqu'on passe des tranches d'âge de 5-6 (23 %) à
7-8 (24 %) puis à 9-10 ans (44 %) alors que le "e+" diminue
corrélativement en passant de 30, à 32, puis à 20 %. Manifestement, l'enfant en
période de latence réagit à l'interpellation de la loi en l'éprouvant sur un
mode négatif ou "caïnesque". Ce n'est qu'au seuil de l'adolescence
que cette tendance s'inversera.
La place du facteur
"hy" dans l'approche de la réversibilité
En fonction de la très
brève description qui vient d'être faite du fonctionnement opératoire,
l'hypothèse qui s'impose au niveau de "hy" est la suivante : le
fonctionnement préopératoire, où l'enfant se centre sur les apparences
perceptives,peut être associé à la position "hy+", tandis que le
fonctionnement opératoire, où l'enfant réagit davantage en fonction de
structures "intériorisées", peut être associé à "hy-".
D'ailleurs, réagir à ce qui se montre, c'est aussi réagir en "se
montrant", en "se mettant en scène". L'exemple de la conservation
des longueurs le montre très nettement : on fait constater l'égalité de deux
baguettes, puis on en pousse une et l'enfant dit :"c'est plus grand parce
qu'on a poussé". L'enfant se place dans l'action en train de se faire, et
réagit presque en fonction de la sensation de cette action. Il se met en scène,
s'inclut dans la scène. A l'opposé, si "hy-" signifie: ne pas
exprimer ses réactions émotionnelles, il peut aussi bien signifier le contrôle
des réactions immédiates inspirées par les sollicitations perceptives, et ce,en
fonction d'un "système" intériorisé. Toutefois, si "hy"
concerne à l'évidence le processus de l'intériorisation lui-même, il est moins
certain que nous puissions y trouver l'explication du mécanisme même de la
réversibilité. Il faut pour cela se tourner vers le facteur "e".
Le facteur "e"
et le mécanisme de la réversibilité logique
Les quelques données
expérimentales qui viennent d'être présentées montrent incontestablement que la
période de latence coïncide avec un accroissement de la fréquence du
"e-", celle-ci atteignant son maximum avec la tranche d'âge de 9-10
ans. L'enfant rencontre la limite de la loi, et se cabre, se révolte au moins
intérieurement. C'est qu'il est interpellé d'une manière plus personnalisée,
plus directe qu'au travers de l'ensemble des interdits "moraux",
relatifs à ce que l'on peut "montrer", qui sont représentés par le
facteur "hy". Ici, le sujet est littéralement (re)mis à sa place ; sa
place lui est assignée dans la structure familiale et la succession des générations.
C'est en tout cas une façon possible d'exprimer ce qui arrive à l'enfant
"exclu" de la scène primitive, à l'issue de la crise oedipienne.
L'enfant subit la contrainte de la loi, et une place lui est assignée. Cette
"assignation" à une place définie retentit sur le fonctionnement
cognitif en permettant à l'enfant de garder un "point de vue"
constant sur une situation, et par là de pouvoir accéder à la réversibilité. En
effet, l'enfant préopératoire change constamment de point de vue, et se centre successivement
sur l'un puis sur l'autre aspect de l'objet pour en tirer des conclusions
opposées.
En fait, l'idée même que
l'accès à la réversibilité dépend de la capacité de prendre et de conserver un
point de vue est reprise à Jean-Claude QUENTEL dans son récent ouvrage
"L'Enfant". Dans le contexte d'une analyse critique du concept
d'égocentrisme, il parle de ". . . l'inexistence pour l'enfant d'un point
de vue qui soit de l'autre comme d'ailleurs d'un point de vue qui lui soit
propre" [7]. Il dit aussi que la
réversibilité et la réciprocité trouvent leur lieu d'explication "dans la
manière dont l'enfant se situe"[8]. Nous partageons évidemment
cette perspective, mais l'utilisation du réfléchi "se situe" révèle
que le problème est abordé en termes de "positionnement du sujet",
soit, dans la terminologie szondienne, au niveau du Vecteur Sch. Pour notre
part, nous dirions plutôt que la réversibilité trouve son explication dans la
manière dont l'enfant "est situé" de par la place qui lui est assignée,
ce qui ramène le problème dans la sphère du Vecteur de la loi (P), laissant la
problématique du "réfléchi" pour un temps ultérieur.
Si le rapport à la loi
est aussi essentiel pour l'élaboration des structures opératoires, il est
possible que ces structures présentent quelque similitude avec les instances
psychiques en rapport avec la loi : surmoi-idéal du Moi, conscience éthique . .
.
Phénoménologiquement, la
formation réactionnelle présente une similitude avec l'opération, en tant
qu'elle annule anticipativement un désir inconscient. L'intérêt de cette
comparaison serait mince si FREUD n'avait pas fait de la formation
réactionnelle le mode de fonctionnement normal de la période de latence :
"Ces formations réactionnelles de la névrose obsessionnelle ne sont que les
exagérations des traits de caractère normaux qui se développent au cours de la
période de latence" [9]. Celle-ci est donc
littéralement à l'origine de la formation réactionnelle. Dans la deuxième
topique, FREUD prête au surmoi lui-même une structure qui, elle aussi, rappelle
cette formation réactionnelle : "Ce surmoi n'est cependant pas un simple
résidu des premiers choix d'objets par le Ca, il a également la signification
d'une formation destinée à réagir énergiquement contre ces choix. Ses rapports
avec le Moi ne se bornent pas à lui adresser ce conseil : "sois
ainsi" (comme ton père), mais ils impliquent aussi l'interdiction :
"ne sois pas ainsi" (comme ton père) ; autrement dit : "ne fais
pas tout ce qu'il fait ; beaucoup de choses lui sont réservées, à lui
seul" [10]. Le surmoi tel qu'il est
présenté dans ce passage est l'instance qui assigne une place ou une position
au sujet, selon les termes que nous utilisions plus haut, et lui permet dès
lors de prendre en compte les deux moments opposés et contraires de la
proposition, le sujet n'adhérant entièrement ni à l'un ni à l'autre de ces deux
moments.
Chez SZONDI, la
conscience éthique s'élabore aussi à partir de la coexistence de deux
contraires dans le "champ de la conscience":les motions pulsionnelles
négatives et la disposition à la "réparation". Le sujet éthique ne
coïncide pas non plus entièrement ni avec l'un ni avec l'autre terme de cette
paire d'opposés. La disposition éthique est aussi le résultat d'une certaine
"prise de recul",dirons-nous. Mais toutefois, il semblerait que la
"conscience éthique" soit un processus plus "tardif", qui
concerne plutôt l'adolescence que la période de latence, si l'on en croit nos
résultats expérimentaux, où la fréquence du "e+" n'augmente qu'à
partir du seuil de l'adolescence. C'est pourquoi nous n'approfondirons pas
davantage cette hypothèse concernant la "conscience éthique".
Conclusion
On semble se trouver,
tant du côté du mécanisme de formation des structures opératoires que du côté
de la formation du "surmoi", en présence d'un processus de
"prise de recul, de "décentration", ou de "positionnement
dans un point de vue", qui permet au sujet d'appréhender dans un même
"tout" le mouvement de son action ou de son désir, et l'annulation de
cette action ou de ce désir.
Ce qui justifie à nos
yeux le rapprochement spécifique du mécanisme opératoire avec le Vecteur de la
loi - par opposition à une généralisation banalisante du processus de
"décentration" - c'est que ce n'est pas seulement la situation de
l'enfant en tant que tel qui est en cause, mais aussi le fait que sa position
lui soit "assignée", avec une dimension de contrainte. C'est
l'interprétation que nous proposons à la coïncidence dans le temps de
l'augmentation de la réaction "e-" avec le moment d'apparition des
opérations concrètes. Le mécanisme opératoire est selon nous intrinsèquement
lié à la problématique de la loi.
Le vecteur Sch et la pensée opératoire formelle
La pensée formelle est
une pensée hypothético-déductive, où le sujet se montre capable de raisonner à
partir d'hypothèses, alors que précédemment il ne pouvait le faire que sur base
de situations réelles. L'apport de PIAGET montre que cette pensée formelle ne
s'appuie pas exclusivement sur le langage, ni sur un système d'algorithmes
appris, mais qu'elle se manifeste spontanément dans des situations de la vie
courante, telles que des problèmes impliquant l'usage d'une combinatoire.
C'est à partir de 11-12
ans que l'enfant devient accessible à cette forme de pensée et de raisonnement.
Face à un problème, il peut envisager toutes les combinaisons rendues possibles
par les données de base, et vérifier systématiquement quelles sont celles qui
se présentent effectivement dans la réalité. Il y a donc, dit PIAGET, une
inversion du réel et du possible, le possible précédant cette fois le réel dans
la démarche de pensée.
Mais un sujet qui
"s'autorise" à poser des hypothèses, se permet en quelque sorte de
"sortir" de la réalité empirique pour créer une "autre"
réalité ayant un support purement représentatif ou symbolique, autre réalité
dont il est l'origine. Ici, on peut parler en termes de "sujet
réfléchi", et dire qu'il "se situe" à l'origine de sa pensée et
de son raisonnement. De telles notations évoquent évidemment tout de suite la dernière
position du circuit Sch, "p+", que l'on sent sous-jacente à
l'ensemble du processus en cause ici. C'est donc en référence constante à cette
position "p+" que l'on peut examiner l'ensemble du circuit Sch dans
l'optique de la pensée formelle.
La position projective
"p-"
La projection considère
comme d'origine externe ce qui relève en fait de processus psychiques internes
non reconnus ou non acceptés. A ce titre, elle apparaît dans son principe même
comme la négation même de la pensée. Le sujet "p-" est le sujet qui
ne pense pas, qui n'émet pas d'hypothèses, pour qui les choses sont simplement
"ce qu'elles sont", et l'ont toujours été. La position "p-"
est la position "participative", par laquelle le sujet établit une
"identité d'être" entre lui et le monde extérieur, la limite
"moi-non moi" ayant tendance à s'effacer. La projection signifie la
négation d'un moi "autonome". Or, la pensée formelle a précisément
pour principe de dissocier la pensée (les hypothèses) et la réalité à laquelle
ces hypothèses pourraient s'appliquer, et elle est donc totalement antinomique
avec le principe de la projection.
D'un point de vue
psycho-génétique, la position "p-" renverrait plutôt à la pensée du
très jeune enfant, chez qui la "projection" dans le domaine de la
pensée se manifeste par le "réalisme" : la réalité psychique n'est
pas reconnue comme telle : les rêves sont dans la chambre, les mots sont dans
les choses, etc . . . L'explication d'ensemble de tels traits de la pensée
enfantine, c'est que "le monde ne fait qu'un avec le moi"[11]. Le travail de constitution de
la réalité "suppose une scission progressive de cette conscience
protoplasmique en deux univers complémentaires, l'univers objectif, et
l'univers subjectif" [12]. La notion de
"participation" se retrouve donc en quelque sorte aussi dans certains
textes piagétiens pour désigner une forme très archaïque de la pensée
enfantine.
L'introjection "k+"
Le facteur "k"
désigne le besoin de limiter le Moi, de maintenir son indépendance, de limiter
ou de couper les échanges affectifs avec l'environnement, et il y parvient en
incorporant les objets (k+), ce qui le conduit "à se suffire à lui-même et
rend la satisfaction libidinale pleinement indépendante du monde
extérieur" [13].
Au point de vue du
développement, ce qui correspond à "k+" peut évidemment aussi
concerner une pluralité de niveaux génétiques. L'introjection fait évidemment
songer d'abord aux structures opératoires parvenues à l'état d'équilibre, et
qui n'ont donc plus rien à recevoir du monde extérieur. Ceci concerne déjà les
opérations concrètes, voire certains schèmes sensori-moteurs, comme celui de
l'objet permanent. Mais notre préoccupation présente nous conduira à envisager
l'étape ultime de ces processus d'équilibration : vers 11-12 ans, la pensée
atteint un état d'équilibre terminal, que PIAGET nomme "forme d'équilibre
finale de la pensée". Cela signifie que la pensée ne peut plus rien
rencontrer en provenance du monde extérieur qui puisse remettre en question son
équilibre. PIAGET présente son avènement, non pas comme le résultat d'une
construction, à l'instar des opérations concrètes par exemple, mais comme
l'aboutissement d'un processus d'équilibration interne ou endogène.
Ceci évoque la position
"k+", dans la mesure où il s'agit d'une structure entièrement
autarcique et autosuffisante. Mais si la "forme d'équilibre" est
définitive, ce n'est pas parce que des "objets" comme tels auraient
été introjectés, mais bien parce que la structrure même de l'interaction est
intériorisée. L'introjection mémorise aussi l'interaction,même avec le monde
extérieur."La réalité psychique est faite au départ de ces objets internes
et des schémas relationnels qui s'établissent entre le sujet et ces
objets" [14]. En termes piagétiens, la
"forme d'équilibre" est l'aboutissement de la série des schèmes de
conservation dont le premier est la permanence de l'objet. En termes
psychanalytiques, l'introjection assure la possibilité indéfinie de
re-présentation des objets qui ont été "perdus" dans la réalité. Les
deux points de vue concernent l'élaboration d'une réalité interne ou réalité
psychique.
La pensée
hypothético-déductive et la dialectique "k+" / "k-"
L'aboutissement du
processus d'équilibration de la pensée va permettre au sujet d'accéder à la
pensée hypothético-déductive, et d'utiliser des systèmes tels que la
combinatoire propositionnelle. Placé par exemple devant un problème de mélange
de corps chimiques dans lequel la combinaison de trois éléments produit une
coloration, un quatrième étant décolorant et le cinquième neutre, l'enfant du niveau
formel pourra dresser à l'avance le tableau des combinaisons possibles, et
sélectionner celle ou celles qui se réalisent effectivement.
Dans l'exemple choisi,
l'ensemble des combinaisons forme un tout, réglé par une loi endogène, qu'il
est permis de rapprocher de la polarité "k+". C'est un "tout
avoir" dans l'ordre de la pensée, qui se trouve nécessairement en excès
par rapport à la réalité empirique.
A l'autre extrémité de la
démarche de résolution d'un problème, le sujet est amené à retourner à la
réalité puisqu'il s'agit de voir quelles sont les possibilités qui se vérifient
empiriquement parmi celles qui ont été conçues hypothétiquement. Il semble
adéquat d'associer ce moment au pôle "k-", intervenant ici comme
"fonction de jugement". Le rôle de cette fonction est en effet, dit
FREUD, " . . . d'admettre ou de contester l'existence d'une représentation
dans la réalité . . ." [15]. Or, SZONDI considère la fonction de jugement comme l'un
des attributs de la position "k-" ; elle participe de l'opération de
délimitation du Moi (Ich-Einengung) dont elle constitue l'aspect le plus
conscient et le plus extraversif.
L'ensemble du
fonctionnement des "schèmes opératoires formels" met donc
manifestement à contribution les deux polarités du facteur "k", et il
est probable que la fréquence élevée du "k+" observée durant la
période de mise en place de ces schèmes puisse aussi refléter ce processus
cognitif.
La position
"p+" et le terme du développement
La position
"p+", celle du sujet qui s'autorise à poser des hypothèses, et
"se" situe à la source de sa propre pensée, ne correspond à aucun
moment identifiable, à aucun "stade" développemental. C'est la
position qui permet au sujet de passer d'un "temps" génétique ou
développemental, à un temps existentiel ou historique (voire historisant).
Génétiquement parlant, il n'y a plus rien après la mise en place des bases de
la pensée formelle, et de la constitution de la "forme d'équilibre finale
de la pensée", qui, disait PIAGET, ne sera plus modifiée pour le reste de
l'existence.
Le sujet qui arrive au
terme de son développement n'a plus la perspective de la réduction de l'écart
"enfant-adulte", et ceci se reflète dans la capacité à distinguer un
"possible" d'un "réel", soit de prendre acte de la différence
entre la pensée et la réalité. Cet écart est réellement pris en compte dès
l'instant où il n'est plus censé être comblé à une étape ultérieure du
développement, ou moyennant un accroissement des connaissances. Il devient
alors essentiel ou ontologique, et participe au statut "d'être-en-
projet" qui définit le sujet "p+".
Conclusion
De façon encore plus
absolue que pour le Vecteur Paroxysmal, il apparaît que les positions du
circuit ne correspondent pas à des moments génétiques successifs, en tout cas
dans les limites de la période d'acquisition de la pensée formelle. Le circuit
Sch pourrait par contre refléter l'ensemble du développement, considéré non
plus sous l'angle de la formation des structures mentales successives,
regroupées ici en "k+", mais sous l'angle de la constitution d'une
subjectivité à partir d'un état d'indifférenciation participative.
L'apparition de la pensée
formelle serait subordonnée à la dernière étape de ce processus, soit au moment
où le sujet est en mesure d'assumer une pensée propre, libérée du support
immédiat de la réalité empirique. Le rapport qu'il entretient avec celle-ci, et
avec sa propre pensée,s'en trouve complètement modifié.
L'accès à la pensée
formelle, avec ce qu'il suppose, signe la fin du développement en tant que tel,
et l'accès au statut de sujet historique.
CONCLUSIONS D'ENSEMBLE
A la source de chaque
période du développement, on découvre une expérience existentielle majeure et
en même temps significative de la situation de l'enfant dans son évolution.
Pour la sphère du
Contact, la dynamique des schèmes innés permet, dès les premiers moments qui
suivent la naissance, de "réagir" à la séparation, en reconstituant
la relation avec la mère participative. Les acquis sensori-moteurs s'inscrivent
dans ce premier mouvement dont les stades sont figurés par les moments
successifs du circuit du Contact.
Le Vecteur sexuel a été
compris, génétiquement parlant, comme l'espace ouvert par l'expérience de
l'unification de l'image du corps dans le miroir, et l'essentiel du travail
propre à cette période comme un travail d'appropriation de cette image
spéculaire.
Dans le cadre du Vecteur
paroxysmal, nous avons tenté de montrer que la réversibilité opératoire
n'émerge pas par la seule activité du sujet, ni par la seule dynamique de son
développement cognitif, mais que le sujet y a accès parce que sa place lui est
assignée par la loi, dans la suite des générations notamment, ce qui lui permet
d'avoir un "point de vue" stable sur les choses.
Enfin, nous venons
d'expliquer que la pensée formelle est la conséquence de la capacité d'assumer
une pensée propre, et de s'autoriser à penser en dehors d'un lien immédiat au
réel empirique.
Ceci suggère qu'un lien
existe entre les problématiques humaines auxquelles l'enfant est confronté aux
étapes successives de son évolution, et les différents niveaux d'organisation
cognitive et logique qui s'y développent.
Ce cadre pourrait
accueillir aussi une description des étapes de la maturation pulsionnelle, à
condition d'envisager ces "expériences" comme des moments de rupture,
ou des moments traumatiques. C'est ce que suggère FREUD, et à sa suite LACAN.
Par ailleurs, les différents types d'angoisse ont déjà été associés aux
Vecteurs du schéma pulsionnel [16]. L'apport de chaque période
génétique peut alors être vu comme une "réponse" à un trauma
spécifique. Et on est là en présence d'un modèle qui se rapproche à nouveau de
PIAGET : la rencontre de situations nouvelles provoque des déséquilibres
demandant de nouvelles rééquilibrations . . .
Le schéma pulsionnel fournit
un canevas qui peut probablement prendre en charge l'ensemble des aspects du
développement génétique. C'est le premier volet de ces conclusions.
Mais ce premier volet
conduit à un second niveau de questionnement. En effet, le fait même qu'une
lecture génétique du schéma soit possible fait question : le schéma pulsionnel
trouve son origine en dehors de toute référence psycho-génétique et propose un
ensemble de "catégories" anthropologiques et psychopathologiques que
rien ne prédestinait à rencontrer un modèle psycho-génétique. Tout se passe
donc comme si un "principe de cristal" était aussi à l'oeuvre dans le
découpage du développement en un nombre déterminé de périodes essentielles, et
conférait une "structure" à la "genèse". Ce principe
structurant émane d'une problématique anthropologique globale ; on peut dire
que le développement est structuré lui-même par cette problématique.
L'idée en tant que telle
n'est pas neuve, évidemment : FREUD l'avait introduite avec la notion de
"période de latence", qui traduit dans l'architecture même du
développement l'existence de l'interdiction de l'inceste. Le recours au schéma
pulsionnel de SZONDI et aux travaux de PIAGET permet de montrer plus clairement
que ce principe est à l'oeuvre à toutes les étapes du développement, y compris
dans ses aspects cognitifs et logiques.
BIBLIOGRAPHIE
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Symptôme, Angoisse, Paris, P.U.F., 1951.
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FREUD, S.,
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LEKEUCHE, Ph. & MELON, J., Dialectique des
pulsions, 3è ed., De Boeck ,
Bruxelles, 1990.
MELON, J., LEKEUCHE, Ph.,
POELLAER J.M., VANDERSCHELDE H.:
"Le Moi en Procès", Cabay, Louvain
PIAGET, J.,
PIAGET, J.
et Niestlé, 1976.
QUENTEL, J.C., L'Enfant,
Bruxelles, De Boeck, 1993.
[1]op. cit. pp. 96-97.
[2] MELON et LEKEUCHE,"Dialectique des
pulsions",p.108.
[3] FREUD."Pulsions et destin des
pulsions",trad.fr. p.19.
[4] G.DELEUZE."Présentation de
Sacher-Masoch",p.71.
[5] J.PIAGET."La formation du symbole chez
l'enfant",p.58.
[7]
J.C.QUENTEL."L'Enfant",p.197.
[8] idem
p.196.
[9]
FREUD."Inhibition,symptôme,angoisse",trad.fr.,p.86.
[10] FREUD."Le moi et le ça",p.204.
[11]
J.PIAGET : "La causalité physique chez l'enfant", p. 277.
[12] Idem, p. 274-275.
[13]
S.DERI,"Introduction au test de Szondi",p.162.
[14]J.MELON."Le moi en procès",p.162.
[15] FREUD."La négation",p.175.
[16] MELON et LEKEUCHE."Dialectique des
pulsions",p.27.